Le portrait foulé

Jean-Paul Manganaro

Du pouvoir de l’icône à la monotonie
de l’image dans quelques œuvres de Gadda

La représentation transcrite ne cesse d’être traversée d’images: paysages, descriptions, portraits disent, dans la réitération, des parcours et des situations qui se nouent dans l’effort d’illustrer, en les délimitant, quelques fonctions. Une confusion se crée nécessairement dans les rapports qui se tissent d’un mot à l’autre entre la désignation de ce qu’est une image, de ce qu’est un visage, de ce qu’est un portrait.

Or, l’image n’est pas forcément le propre du visage, pas plus que du portrait d’ailleurs: dans la tentative d’y adhérer, elle y échappe, ou plutôt elle les contient en les éloignant, en les excluant. Dès lors, on est confronté à l’impossibilité d’une transcription du visage, du portrait, retenue justement par l’écriture. Rien ne semble plus difficile, pour un auteur, que d’établir un portrait: la description est toujours évasive, elle contourne, redit et reflète, renvoie à des clichés génériques et approximatifs; le portrait devient une suggestion, un dégagement presque systématique du créateur et devient parallèlement un travail que l’utilisateur doit lui-même accomplir en y engageant ses propres perceptions et connaissances, ses sensibilités, en se servant des éléments, nombreux ou limités, que l’auteur propose, les modifiant ensuite suivant des humeurs qui font que, nécessairement, jamais l’image d’un visage, d’un portrait ne peut prendre corps, puisqu’elle n’adhère à rien de réel.

à quoi peuvent ressembler Béatrice, Boule de suif, Des Esseintes, Albertine ou Bardamu? On a beau les imaginer, on s’en fait un portrait, une image qui ne leur appartient jamais, puisqu’ils ne sont que là, on leur prête gracieusement un visage qui prolifère en des errances, témoignant de la pluralité de nos représentations. Nous ne les connaissons qu’en fonction d’attributs mineurs qui, dès lors, se hissent jusqu’à devenir des fonctions majeures: plus encore qu’à un portrait, à une image, chacun d’eux correspond à un mode de représentation qui tend à les caractériser dans une sorte de singularité féroce, les faisant appartenir à une culture de chaque époque – et les y reléguant. Ainsi, une image se constitue qui exclut le visage et le portrait: elle ne les livre qu’en négatif, dans l’attente d’une succession de révélateurs qui vont rester, pourtant, désespérément muets. En ce sens, le seul grand portrait littéraire évoquant quelque chose avec exactitude, mais quelque chose qui est en même temps indéfinissable, est celui qu’Hamlet fait de Yorick. La description ne vise plus ce qu’est Yorick, mais ce qu’il a été et qu’il ne sera jamais plus, envahi qu’il est par une pétrification qui le relègue au seul portrait objectif, celui du crâne d’où toute singularité s’est effacée, qui nous fait tous être enfin dans un même portrait indifférencié et commun (puisque nous avons tous la même image de ce non-visage et de ce à quoi il renvoie). C’est le seul moment où l’ensemble évoqué (image-visage-portrait) correspond à sa vérité, c’est-à-dire coïncide avec sa vérité de nature morte. (1)

Les personnages d’écriture n’ont pas de visage, seul un portrait, indéfini, même quand il est minutieux: une image, c’est déjà ça, peut-être. En fait, ne compte que la soustraction à toute possibilité de réalité, en-deçà et au-delà de la réalité du texte. Est-ce dire en même temps que l’écriture ne peut pas rendre cette forme-là – qu’elle ne peut rendre et justifier que sa propre mise en forme –, et qu’elle ne peut s’attacher qu’à l’action ou à son absence?

La construction de l’image des personnages se fait, chez Gadda, par absence de sensibilité affective et présence de fortes lignes d’intensité que l’on peut, par facilité, définir comme monstrueuses ou grotesques: à une première soustraction de sens correspond une addition de non-sens. Ce statut de l’image est constant surtout dans le traitement du portrait masculin: même l’aspect sévère et terrible du protagoniste de la Connaissance est souvent mis en défaut par des surnotations grotesques qui tendent à affaiblir sa structure narcissique et égotique. Quelque défaillance dans ce système de surnotations du grotesque a lieu lorsque l’auteur vise l’image du féminin, les cas les plus typiques étant, par exemple, ceux de la mère dans la Connaissance, d’Elsa dans L’Adalgisa, de Liliana Balducci dans L’affreux pastis. Ce qui nous intéresse plus précisément ici, ce n’est pas le portrait des personnages de l’œuvre, mais un exercice auquel Gadda se livre dans de nombreux récits et qui consiste en une description déformée du portrait proposé comme support descriptif, qu’il s’agisse d’une peinture, d’une photographie ou d’une sculpture.

Le premier de ces exemples, dans La Madone des philosophes, décrit le portrait d’un colonel: à aucun moment les éléments de la description ne s’engagent à parcourir ce qui ferait la réalité du visage dans le portrait – le front, le yeux, les joues, les oreilles, la bouche, etc. –, cette matière est d’emblée mise à l’écart; il n’y a que des allusions à quelque chose d’extérieur et d’induit, tel le «port» et le «froncement de sourcils» qui ne sont pas saisis dans leur consistance intrinsèque. Le cadre du tableau, au lieu d’isoler et refouler le portrait dans son intériorité, le met en relation immédiate avec son dehors, le «salon-atelier»: commence alors la description d’un fouillis enchevêtré de lignes, dont certaines appartiennent en propre au portrait décrit (par caricature, sourcils et moustache organisent le «froncement», rehaussé ensuite par le «relief particulier» et le «pouvoir presque surhumain d’autorité»); d’autres en révèlent, sur le mode humoristique, le statut héroïque et moral (les «brandebourgs», le «sabre», les «épaulettes», par exemple); d’autres encore sont comme autant de points d’arrêt des lignes (c’est le cas des «médailles, croix et étoiles», mais aussi des boutons qui finissent par devenir autant d’autres «médailles»). Lignes nouées, lignes qui coupent et traversent, pointillé des boutons, tresses «de gros fils d’or», «cordons et cordonnets» creusent, comme dans un portrait de Giacometti, (2) une matière vide, déjà évacuée, disent la mort advenue du personnage, alors que les matières (fils, tresses, boutons) relient l’ensemble à la situation de la maison de couture où le portrait se dresse.

Le deuxième portrait – qui passe par l’impossible mise en pose d’un portrait photographique –, joue lui aussi sur les tentatives vaines du photographe-révélateur de donner le corps souhaité au personnage en pose: en quoi l’image pourrait-elle ressembler, de près ou de loin, à un sujet donné? Ne serait-elle au contraire une copie confuse, voilée, obtuse, du posant? Nous sommes confrontés à l’idée même du simulacre qui s’écarte et diffère en nature et à l’infini de son original: la scène relate le développement possible d’une identité dont on sait d’emblée qu’elle ne reproduira rien de réel, mais une seule de ses possibles manifestations apparentes, une seule image qui est choisie par la subjectivité affective, morale et culturelle du demandeur (le photographe), placé dans cette posture parce qu’il est, au départ, le demandé. Les mécanismes de la scène fonctionnent grâce au monologue du photographe qui met en place l’image à venir à travers sa tentative de persuasion par la parole; le discours du narrateur est plongé dans le discours de celui qui insinue ses suggestions afin d’obtenir une véridicité aliénée de l’objet qui pose (Adalgisa); et ce discours aboutit à une modification cruciale de l’objet posé, pour parvenir non pas à la réalisation d’une copie conforme au modèle, mais à sa transfiguration en un simulacre dont la lisibilité ne peut que s’écarter du sujet posant, et qui va plonger à son tour dans un discours acculturé (Phryné-Madone: les antithèses extrêmes de la représentation du féminin en parade, l’une païenne, l’autre catholique, hésitant donc entre deux parcours extrêmes de l’image, celle, iconique, du symbole et celle, idolâtre, du simulacre; et pourtant, dans une troisième ligne qui s’échappe, l’une et l’autre tout aussi mythiques et évocatrices).

Le troisième portrait, une sculpture futuriste dans une galerie très académique, s’inscrit dès l’abord dans la polémique humoristique: beauté supposée (car non décrite) d’un Saint Georges qui a pris la place d’un travail désormais absent, le «Portrait de la marquise Cavalli»: la description du portrait – et de l’image – confirme et souligne la nécessité, propre à Gadda, de répéter le monstrueux, qui advient à travers le mélange des chromatismes, des divers supports (rigides ou mous) et des mécanismes aptes à fabriquer des expressions. L’accent connotatif est placé, comme pour le portrait du colonel, à l’endroit des yeux, dont les orbites «amoureuses et profondes» sont «faites de deux morceaux de fer-blanc»: ce qui est visé, dans ce rendu de la visagéité, c’est l’endroit où l’expressivité supposée des yeux est censée se concentrer. La polémique humoristique, qui s’inscrit dans la série des affectations à l’égard du futurisme, vise aussi des formes de la représentation artistique dont l’aboutissement ne cesse de répéter l’image comme cliché, comme stéréotype.

Dans ces trois exemples, la disposition de la scène (portrait-peinture, portrait-photo, portrait-sculpture) est telle que la description de la chose représentée est toujours rehaussée, comme si elle était placée sur un autel: l’assemblage des motifs (motifs des décorations débordant dans les outils de la couture dans le premier; motifs de la mise en pose des expressions du visage et des postures du corps dans le deuxième; motifs des mécanismes dans le troisième), tout en se tenant à l’intérieur d’un cadre spécifique, ne cesse d’être débordé par la conclusion de la scène récréative qui joue comme un socle et relance le portrait dans la mêlée de la narration comme moment nodal d’intersections, après l’avoir détruit en tant qu’image, après l’avoir rendu à son état de monstruosité et de difformité, répétant cette impossibilité de saisir l’image vraie, la seule image qui serait censée dire la vérité.

Négation de l’image en tant que réceptacle d’une vérité possible quant à la représentation de l’individu, d’une part; de l’autre, exultation dans la transformation de cette impossibilité en celle, tangible et multiplicatrice, du monstre et du monstrueux, le seul côté par lequel l’image se rende accessible.


Ceci ne répond pas, chez Gadda, à un simple stylème, à un effet ou à un exercice de style, mais à un programme explicite de ne jamais céder à la volupté de la description de l’image en tant que telle, mais plutôt à une autre volupté, moins narcissique, opposée à la première et de nature sadique, de destruction de l’image. La question se pose en ces termes: faut-il à tout moment coder et recoder l’image – c’est-à-dire la faire entrer dans des codes de normalisation –, tout en sachant qu’elle se répétera dans la redite infinie de sa propre mise en forme et de son propre cliché? Ou bien faut-il choisir de brouiller les codes et de suivre les lignes de fuite qui s’amoncellent au-dessus d’une inexpressivité pour en tirer autant de possibilités d’expression? Ce choix n’est possible que si le langage et la langue, se présentant à leur tour comme moments inexpressifs et hasardeux, se mettent à rencontrer une nécessité et finissent par être en mesure de dégager, systématiquement, quelques forces expressives nécessaires. Par ailleurs, la répétition du modèle est trop importante pour que l’on pense – une fois pour toutes – à une aventure, à un impromptu de la page écrite qui ne serait pas arrimé à la logique d’une machine de guerre laquelle se poserait une autre question: comment troubler l’impossibilité de décrire l’image, n’importe quelle image, sinon en la détournant de sa destination codifiée?

La scène fondamentale constituant la clé de voûte de cette édification très élaborée est celle, célèbre, de La connaissance de la douleur dans laquelle le personnage, Gonzalo, écrase sous ses pieds le portrait du père:

Staccò dalle pareti un quadro, un ritratto, (come usò anche in un altro accesso, dopo anni), lo appiastrò al suolo. La lastra di vetro si spaccò. Dopo di che vi montò sopra: calpestandolo come pigiasse l’uva in un tino, ridusse il vetro in frantumi. I talloni disegnarono come dei baffi al ritratto, due spaventose ecchimosi del ritratto. Egli accusò la madre di adoperar lui, suo figlio, come mezzo o pretesto per regalare del denaro al russo.

La mamma, sfigurata dal pallore, coi labbri esangui che le tremavano convulsivamente, e bevevano disperate gocce, rimase con le mani sul grembo, senza osare di abbassar gli occhi alla memoria straziata del marito. Guardava davanti a sé, nell’incredibile, rifiutando le immagini come se tutto il vivere fosse un oltraggio: a chi non può riscattarsi dal suo silenzio! (3)

On parvient ici à une sorte d’épure, au sens où, contrairement aux scènes précédentes, le tragique semble soudainement avoir envahi tout le champ. Pourtant, comme ailleurs, la description élimine d’un seul trait toute tentative de dire le portrait, sauf pour ce qui est de l’ajout de cela même qui l’efface ou le confond: striures du massacre, «moustache» qui le fait coïncider avec le portrait du colonel, «ecchymoses» et «lambeaux» qui le consignent à une deuxième mort, aussi irréparable que la première, comme tendrait à le souligner l’attitude de la mère, «demeurée mains jointes sur le ventre». (4)

Peut-on parler de scène originelle? Les dates des différents textes n’en apporteraient pas les preuves nécessaires et, si l’on suivait certains leitmotive de l’œuvre de Gadda, elles nous feraient plutôt conclure à la solution du matricide par acte interposé – ce à quoi, d’ailleurs, aboutit le roman –, qu’à un parricide, fût-il symbolique. Sans doute aussi, du côté de l’auteur, l’impossibilité, plusieurs fois répétée, de croire en une reconnaissance affective et morale du père motiverait la répugnance à fonder et à coaguler une image du moi qui refléterait ipso facto une adhésion quelconque aux codes de l’image.

La question, et la réponse éventuellement apportée, nous semblent être plus sournoises en même temps que violentes: elles mûrissent sur un plan purement artistique qui dépasse les données d’une problématique œdipienne et affirment la volonté de ne pas adhérer au codage familial de l’image – peut-être aussi de l’image familiale – (où le fils ne peut se reconnaître que dans le père et où le père ne peut s’incarner qu’en son fils), et qui fonde l’ensemble innombrable des fables familiales, volonté donc de choisir un langage qui se dérobe à cette emprise de définition implicite et de possession. De même que le refus de la koinè littéraire de son époque le fait passer dans l’activation d’une crise de la langue, de même Gadda refuse de coller à l’ensemble des codes régissant l’image infiniment reproductible sous la forme typique des stéréotypes et de coller ainsi à leur pouvoir iconique. C’est en définissant un projet artistique de création qu’il élabore des images non plus dans le sens d’une symbolique transcendante, mais dans le sens d’une variabilité qui sait rester secrète jusqu’au moment où elle répond aux questions que le hasard offrira au cours d’un développement thématique. Voici donc la récurrence qui fait que le rendu de l’image chez Gadda semble souvent s’inscrire dans la redite monotone d’un même mode expressif et créatif; en réalité il invente un nouveau corps de la visagéité et une nouvelle image de ce corps qui échappe à toute contrainte de ressemblance et plonge dans la multiplicité libératrice d’un monstrueux jamais vu qui exclut tout jugement et toute décision ou qui, au moins, a la sagesse de les laisser en suspens. C’est dans cette direction qu’il faut lire ses descriptions de tableaux célèbres traversées par la défiguration aboutissant à un personnage systématiquement méconnaissable, ou encore ses pages sur Ensor (SGF I 587-99).


D’où vient cette conceptualisation, de quelles cultures? Que l’image – ainsi que le nom et la nomination – ne puisse sourdre qu’à travers un statut de l’interdit est une vieille histoire de l’Ancien Testament, que partagent, par exemple, le judaïsme et l’islamisme. Il faut attendre l’humanisation de Dieu, à travers le Christ – en Grèce, à travers les héros – pour que l’image de la divinité puisse accéder à une représentation, qui ne sera, de fait, qu’une image renvoyée et retenue de l’homme. (5)

Les définitions que les évangiles donnent de l’image coïncident avec l’eikôn tel que Platon le définit dans le Sophiste: (6) l’image ressemble à son modèle, mais qu’il y ait ressemblance ne signifie pas qu’il y ait adéquation. Le centre du discours de Platon est celui des copies: la bonne image, la bonne copie, l’icône, imite, veut ressembler, elle aspire à la hauteur, se développe comme idée fixe fixant l’idée; alors que les mauvaises images, les mauvaises copies, les simulacres, font semblant, descendent de plus en plus et explorent un territoire de l’immanence: mais elles ne perdent pas leur sens car, dans la diversité de leur devenir, on peut les nommer, les signifier, les remplir temporairement de sens lequel, à son tour, s’échappe dans d’autres espaces, dans d’autres démultiplications.

C’est dans cette pensée, dans cette culture qu’il faut inscrire les exquisses défiguratives de Gadda, transformant la reproduction du sens en une pure image verbale «construite sur une dissimilitude, impliquant une perversion, un détournement essentiels». (7) L’image acquiert alors une nouvelle puissance à travers un processus dont les données essentielles sont: la rapidité des instants fragmentés qui recrée des gestes et des positions au lieu de créer une histoire; l’assemblage d’éléments disparates et hétéroclites qui fait tenir l’image; la recherche d’un minimalisme dans la fracture qui multiplie les empêchements de l’action en lui préférant l’acte. Ce n’est plus le contenu qui importe, mais l’énergie captée qui ne cesse de s’abîmer en éclats et concentre l’image en un temps très court: «L’image accède à l’indéfini, tout en étant complètement déterminée. […] L’image apparaît à celui qui la fait comme une ritournelle visuelle ou sonore». (8) à force de détournements, l’image ne bondit pas en raison de ce qu’elle est censée décrire, mais en fonction de ce qu’elle donne à entendre dans le défiguré: image de la langue – dans l’exemple de L’Adalgisa, la langue est fulgurée par le dialecte et la ponctuation qui l’essoufflent et l’épuisent – image vocale de la langue qui bâtit ses ruines successives – et non pas ses mises en abîme –; et transformation perverse et simulée de l’image en pure oralité mécanique dans laquelle la représentation finit par être retenue.

Université de Lille III

ADDENDA N°1

Dalla parete di fondo, che occupava quasi per intero con l’appoggio morale d’una cornice di proporzioni inusitate, egli dominava il salotto-laboratorio. Il portamento marziale del valoroso, il suo maschio cipiglio, i bellissimi alamari, la sciabola che gli era stata fedele compagna in ogni luogo, in ogni istante, le spalline intrecciate di grossi fili d’oro, le folte medaglie, croci e stelle, i numerosi bottoni metallici che sembravano medaglie anche loro, senza contare i guanti e poi tutti i cordoni e cordoncini la cui manovra, per un uomo di tal fatta, doveva riuscire la cosa più naturale del mondo; tutti questi nobili segni rivivevano dentro la elaborata cornice in una sintesi di grande efficacia espressiva. Ma ciò a che il ritrattista aveva conferito uno speciale risalto e quasi un sovrumano potere d’imperio, erano i due portentosi baffi: unitamente alle sopracciglia bismarkiane finivano per procurare a chiunque fissasse troppo a lungo quel colonnello una vaga sensazione di malessere: «Non vorrei rimaner qui solo al buio con questo colonnello», era il pensiero che veniva in mente a tutti.

Appeso a un susino, im magistrale ritratto avrebbe potuto rendere servigi indimenticabili alla campagna cerealicola e allo sviluppo economico regionale, incutendo un salutare rispetto ai più spavaldi pregiudicati del circondario. Sorgendo da nebbie ottobrine sogliono questi ingordi beccarsi via ogni chicco che il colono ha lasciato di calcinare. E così anche passero e beccafico, frullone l’uno, esile freccia il secondo contro la polpa delle cosce di monaca.

La Madonna dei Filosofi, RR I 67-68; La Madone des philosophes, trad. par MANGANARO, J.-P. (Paris: Seuil 1993).


ADDENDA N°2

«Che la me faga minga quei oeucc lì!…», le diceva furente il fotografo entrato sotto il taffetà nero, con la voce d’un semisepolto: «…che la me par un capelón… La donna, l’artista, la gh’à de vèkk uno sguardo dolce… un po’ languido… La me dà a tra sì o no?… specialmente une donna come lée… sfiorata oremai de la gloria… e de la gloria più pura… Uno sguardo, un occhio, on ouecc… savarìa no come dì… come la Frine… hèe!… la Frine del nost Pelagatta… L’ha minga vista a la Permanent?… Ona meraveja, ghe disi…» Fuoruscito dal taffetà, seguitava ancora a perorare: «…O tutt’al più», girava certa vitarella, «tutt’al più un aspetto materno… come la gh’avèss el fioeu im brasc… Che la pensa domà on moment a la Madonna della Seggiola… il capolavoro dell’immortale Raffaello!… Ecco: che la se gira un pô in sü la vida, per piasè…» (rientrò nel tunnel): «…on pô püssée… ecco: insci: ankamò on pô… ecco, dess basta… l’occhio dolce, affabile, me recomandi, un pò malinconico magari… hèe!… La malinconia, ghe par? la sarà sempre püssée poetica d’on capp stazion… Tiri un sospiro, cioska?… s’el ghe rièss… Un sospiro: se l’è, dopo tütt?… Come s’el so morós el ghe fasèss magara on quai cornett… Più affabile quell’occhio?… Ancora più affabile?… Ecco… brava… inscì… Inscì ghe semm!… ecco, ecco… ferma… ferma un momento!… un momento solo… ecco fatto!»

Il tentativo di tramutarsi in Frine-Madonna della Seggiola occasionava – unitamente allo sforzo di rigirarsi a cavaturaccioli per meglio valorizzare il vitino, e lo strascico, con quel volto leggermente proteso e quella dolcezza e quel languore di 22 secondi – occasionava la strana, e come rigonfia espressione di grossa tenca galleggiante, asfittica, o addirittura senza più pensieri, che fu la peculiarità inconfondibile di alcuni ritratti dell’Adalgisa eseguiti in quel torno, e da quella sorta di fotografo-garibaldino.»

Adalgisa, RR I 534-35; L’Adalgisa, trad. par MANGANARO, J.-P. (Paris: Seuil, 1987).


ADDENDA N°3

Nelle sale della celebre galleria, che da diversi decenni a questa parte ne ha visto… di tutti i colori, quel meraviglioso San Giorgio occupava il posto serbato, pochi dì prima, durante l’esposizione de’ Futuristi, al «Ritratto della Marchesa Cavalli»; la cosa si spiega (cioè che una scultura, in centro sala, abbia potuto occupare il posto d’un ritratto) col notare che il «Ritratto della Marchesa Cavalli» era un ritratto a tre dimensioni; dove le diverse falde cromatiche, bianco del viso, rosso delle gote, nero dei sopraccigli, eccetera, erano costituite da pezzi di legno, di cuoio e di panno colorato, armati alcuni con fil di ferro, i quali ruotavano a cerniera su dei pernetti infissi al posto delle ghiandole lacrimali e anche sotto, lungo tutto il naso, che era di zinco, nel mentre le occhiaie amorose e profonde della stupenda marchesa potevano sventagliare alla lor volta in un numero infinito di direzioni, a piacere dei visitatori, ed erano due ritagli di latta. Anche le pupille, dal di dietro del ritratto, si potevano manovrare abbastanza facilmente per modo da far roteare a volontà lo sguardo della marchesa, portandolo a trafiggere d’un dardo concupiscente il primo salumiere che entrasse: sebbene… qualche manovratore inesperto finiva per cavarne dei dolorosi effetti di strabismo.

In quella sala dove una nuova epoca s’era dunque iniziata per la storia del ritratto, l’audace distruttore-ricostruttore era stato incoronato d’alluminio; ma subito dopo un’altra «tendenza», un’altra «revisione di valori» aveva occupato la sala, con un’altra esposizione: perché lo slancio mistico della ricerca ha questo di buono che, come misticismo, è un misticismo a cui si aprono quarantaquattro possibilità.

San Giorgio, Accoppiamenti giudiziosi, RR II 657-58; Saint Georges, Des accouplements bien réglés, trad. par Dupuygrenet Desroussilles (Fr.) et Fratnik, M. (Paris: Seuil, 1989).

Notes

1. La description, chez Shakespeare, est faite par addition de ce qui s’est soustrait, méconnaissable d’abord pour Hamlet, puis immédiatement connu: «Hélas, pauvre Yorick! […] Et cette chose, maintenant, comme elle fait horreur à mon imagination! […] Voici la place de ses lèvres, que j’ai baisées je ne sais combien de fois. Tes plaisanteries, où sont-elles maintenant? tes gambades, tes chansons, les traits joyeux qui faisaient éclater de rire toute une tablée? […] Va-t’en donc trouver la dame de mon cœur dans sa chambre, et dis-lui qu’elle a beau s’enduire d’un pouce de peinture, il faudra qu’elle en vienne à cette mine-là.» Cf. Shakespeare, W., Hamlet, Acte V, scène I, tr. S. Bing et J. Copeau (Paris: Union Latine d’éditions, 1939), 304-05. Le même procédé est appliqué, de façon encore plus humoristique, par Laforgue à la même scène: «Alas, poor Yorick! Les petits helminthes ont degusté l’intellect à Yorick… C’était un garçon d’un humour assez infini […] Il avait le moi minutieux, entortillé et retors. […] Le bon sens lui-même ne laisse pas de traces. Il y avait une langue là-dedans; ça grasseyait […]. Il prévoyait […] Il se souvenait […] Il a parlé, il a rougi, il a baillé. Horrible, horrible, horrible!». Cf. Laforgue, J., Hamlet (Paris: Larousse 1966, 88-89).

2. Nous retiendrons ceci de Giacometti: «Cela dit, je sais qu’il m’est tout à fait impossible de modeler, peindre ou dessiner une tête, par exemple, telle que je la vois et pourtant c’est la seule chose que j’essaie de faire. Tout ce que je pourrai faire ne sera jamais qu’une pâle image de ce que je vois et ma réussite sera toujours en dessous de mon échec ou peut-être la réussite toujours égale à l’échec», in Alberto Giacometti, Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, 1991, 415.

3. Cognizione, RR I 711; La connaissance de la douleur, trad. par Bonalumi, L., et Wahl, Fr. (Paris: Seuil, 1974-1987), 189. «Gonzalo avait décroché du mur un tableau, un portrait (comme il devait faire des années plus tard, lors d’une autre crise), l’avait plaqué au sol. Le verre s’était brisé. Après quoi, lui, était monté dessus: la piétinant comme s’il eût foulé du raisin en cuve, il avait réduit la vitre en morceaux. Ses talons avaient dessiné une sorte de moustache au portrait: des affreuses ecchymoses. Il avait accusé la mère de l’utiliser, lui, son fils, comme moyen ou prétexte, pour offrir au Russe de l’argent. La mère, défigurée par la pâleur, ses lèvres exsangues tremblant convulsivement et buvant des larmes désespérées, était demeurée mains jointes sur le ventre, sans oser baisser les yeux sur la mémoire en lambeaux de son mari. Elle regardait, devant elle, droit, face à l’incroyable, en refusant l’image: comme si vivre même eût été un affront: pour qui ne se peut racheter de son silence.»

4. La connotation sadique n’est possible que grâce à la présence faussement inopérante de la mère qui conclut la scène en en doublant la portée emphatique.

5. Le Nouveau Testament transforme le statut de l’image (puisque son support idéal et réel a changé), et si l’Ancien Testament définit l’homme à l’image de Dieu, le Nouveau, reprenant en partie l’Ancien, efface les approximations ou les incertitudes: du Dieu invisible aucune image ne vaut (Actes des Apôtres, 17,29; épître aux Romains 1, 23) – cela adhère encore à l’A.T. – sinon l’homme, image même de Dieu (Genèse 1, 26; Sagesse 2, 23; épître aux Romains 8, 29; 1e épître aux Corinthiens 11, 7); le Christ est par excellence l’image du Dieu invisible (Sagesse 7, 26; évangile selon Saint Jean 1, 18; 14, 9; épître aux Colossiens 1, 15; épître aux Hébreux 1, 3); l’univers entier est marqué par l’empreinte unique du Christ (épître aux Colossiens 1, 15-20) et chaque homme est recréé à l’image de l’Adam céleste que le Christ est devenu – où la préposition à ne renvoie plus à Dieu, mais au Christ ou à Adam – (1e épître aux Corinthiens 15, 49; 2e épître aux Corinthiens 3, 18 - 4, 4; épître aux Colossiens 3, 10). Dans certains évangiles, la définition de l’image est «ce qui reproduit plus ou moins exactement et représente (rend présent) une réalité» (évangile selon saint Matthieu 22, 20; selon Marc 12, 16; selon Luc 20, 24). Pour toutes ces informations, cf. Léon-Dufour (X.), Dictionnaire du Nouveau Testament (Paris: Seuil, 1975-96), 306.

6. Cf. Platon, Sophiste, 236b, 264c. La problématique platonicienne fonde la distinction entre bonnes et mauvaises copies, les premières se soumettant au modèle, ayant donc droit au nom d’icônes, où le modèle est assumé comme symbole, les secondes, opposées aux précédentes, s’écartant du modèle, nommées idoles, où le modèle est conjuré par une multiplicité de simulacres.

7. G. Deleuze, Simulacre et philosophie antique, in Logique du sens (Paris: Minuit, 1969), 295-96.

8. G. Deleuze, L’épuisé (Paris: Minuit, 1992), 74-75.

Published by The Edinburgh Journal of Gadda Studies (EJGS)

ISSN 1476-9859

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